Aimée Briant de Laubrière [1861 – 1869] et [1874– 1875]


La particularité de la vie publique d’Aimé de Laubrière (1820-1875) réside dans le fait qu’il a occupé à deux reprises les fonctions de maire, la première fois de 1861 à 1869 sous le second empire, la deuxième fois de 1874 à 1875 sous la république naissante.


Élu conseiller municipal au suffrage censitaire en 1853, c’est par arrêté préfectoral qu’il a été nommé premier magistrat de la commune. Entre ces deux mandats, de 1869 à 1874, les fonctions ont été assumées par Louis Toulemont (ar maer koz) qui par la suite occupera le poste pendant trente-cinq ans (de 1876 à 1911). Compte tenu de ces considérations, cette rubrique couvrira exceptionnellement une période et non une mandature.


1 – LE CONTEXTE POLITIQUE NATIONAL

Il s’agit en l’occurrence d’une époque cruciale car elle a connu une lourde défaite militaire et un brutal changement de régime. En 1861, l’empereur Napoléon III, régnant de manière autoritaire, suscite de multiples opposition : celle des catholiques opposés à sa politique d’unification de l’Italie qui entraînera la disparition des états du pape et celle des républicains épris de liberté et avides de réformes.


Prenant au sérieux ces menaces, le souverain libéralise son régime en 1869... (il rétablit notamment le suffrage universel), grâce à ce virage, il regagne l’appui du peuple qui lui renouvelle sa confiance lors du référendum du 23 avril 1870, (dans le Finistère on dénombre 107 518 oui et 13 165 non). Mais quelques mois plus tard le désastre de Sedan entraîne son abdication et la proclamation le 4 septembre du gouvernement de la défense nationale présidé par le général Trochu, originaire de Belle-Ile-en-Mer.


Visiblement les élus de Loctudy n’étaient pas au courant de l’évolution rapide de la situation politique car ce même jour, lors de l’installation de Louis Toulemont, nommé maire à la place d’Aimé de Laubrière démissionnaire, ils juraient « obéissance et fidélité à la constitution et à l’empereur ».


Les premiers gouvernements de la nouvelle république (Thiers 1871-1873 – Mac-Mahon1873-1879) s’étant engagé à « défendre l’ordre », ont toutefois recueilli l’adhésion de nos élus locaux qui appartenaient à la mouvance conservatrice.


Chaque commune devant fournir une escouade, plusieurs loctudistes ont pris part au conflit de 1870. Ils s’entraînaient à la guerre sur la place de l’église, sous les yeux étonnés et amusés des enfants de l’école, en maniant, à défaut de fusil, un solide bâton (pen-baz). Les registres d’état civil de la commune ne contiennent pas de transcription d’actes de décès de morts au combat : seul François Le Drezen a succombé en 1871 durant sa captivité en Allemagne.


Cinq d’entre eux vivaient encore en 1921 : ils figurent sur la photographie prise le jour de l’inauguration du monument aux morts. Un de nos doyens, Hervé Le Berre (94 ans), se souvient de les avoir entendus évoquer leurs souvenirs du combat de Gravelotte et du camp de Conlie où les 50 000 hommes de l’armée de Bretagne croupirent dans la boue pendant plusieurs mois sous le gouvernement de Gambetta, (ils appelèrent d’ailleurs ce lieu « Kerfank », la ferme de la boue). C’est dans ce camp que le général De Marivault, passant les troupes en revue, ayant entendu les soldats bretons prononcer le mot « d’ar gêr » (à la maison), s’exclama « Ah les braves, ils veulent aller à la guerre » ! Leurs difficiles conditions de vie avaient annihilé chez eux tout esprit offensif. Le dernier survivant, Jean Hélias de Poulpeye, ancien combattant de l’armée de la Loire est mort en 1948 à l’âge de 98 ans.


2 – LA SITUATION LOCALE

Durant cette époque, malgré une forte mortalité infantile, la population locale augmente : elle passe de 1 865 en 1861 à 2 040 en 1876.


Le développement de la culture de la pomme de terre a donné un coup de fouet à l’agriculture. En conséquence le port de commerce poursuit sa progression ! En 1871, cent six navires provenant essentiellement du Pays de Galles l’ont fréquenté. Les installations portuaires se révéleront vite insuffisantes. Un nouveau quai d’une longueur de 25 mères est implanté à l’ouest du môle initial (appelé plus tard « la cale du passeur »). Cette amélioration des capacités portuaires a été rendu possible par la donation en 1861 par Aimé d’un emplacement situé au midi de la plate-forme de la cale, cela dans le but de « faciliter le commerce et la circulation des voitures, et l’expédition des pommes de terre ».


Par contre, à la différence de l’Île Tudy, la pêche est peu développée à Loctudy, seuls quelques marins naviguent sur des misainiers qui trouvent un abri naturel dans l’anse de Porz-Bihan (actuelle place des anciens combattants). Les hommes de Larvor embarquent plutôt sur des chaloupes de Lesconil ; c’est sur l’une d’entre elles « Le Monatao » que Corentin Monfort du Traon perd la vie en 1874.


L’activité goémonière est intense : on l’appelle même « la moisson de l’hiver ». Compte tenu des ressources qu’elle procure à la population locale, qui travaille sur les grèves dans des conditions très pénibles, la municipalité continue de s’opposer à l’incinération des goémons par les industriels. Deux événements importants sont relatés dans la presse de l’époque.

- La mission de 1865, durant laquelle des pères jésuites sont venus fortifier la foi des paroissiens au moyen de nombreux sermons et de « taolennou » persuasifs (tableaux en forme de bandes dessinées), a fait l’objet d’un article dans la revue « Feiz ha Breiz », qui décrit Loctudy comme une des « plus belles paroisses ».

- La tempête du 3 décembre, générée par des vents violents du sud-sud-ouest, conjugués avec une marée d’ampleur exceptionnelle a occasionné des dégâts considérables dans toute la Cornouaille. A Loctudy les marais de Brémoguer (poldérisés en 1850 par Hyacinthe Le Bleis), de Penlaouic, de Loc’h Sall, ont été couverts d’eau, de sable et de gravier. Les cultures de la ferme de Ster Kerdour ont été littéralement submergées et les étables ont été détruites. Les tas de goémon entreposés sur les dunes ont été emportés par les vagues, au grand désespoir des familles qui perdaient ainsi le fruit de leur labeur.


3 – L’HOMME

C’est dans ce contexte qu’agit Aimé de Laubrière, véritable notable du XIXème siècle. Appartenant à une famille originaire de Quimperlé, il était le quatrième fils de François (1781-1863), qui fut maire de Quimper et député sous la Restauration, et d’Armande du Boisguéhenneuc. C’est de son oncle maternel, Armand, qu’il a hérité du domaine de la Forêt où il résidait. Il fit démolir le manoir antique et édifia la gentilhommière actuelle. De son épouse, Constance de Coetlogon, il a eu une fille unique, Gabrielle, décédée en 1875, à l’âge de 16 ans, un mois après sa propre mort.


Comme la plupart des châtelains de la région, dont son neveu François, initiateur de la plaisance dans baie, il navigue sur un sloop (le Penru). En 1866, il tente une expérience industrielle : il s’associe avec Aristide Tinnier de l’Île Tudy pour monter une usine de fabrication de sardines truffées. Mais l’activité de l’établissement connu sous le nom de « les pêcheries bretonnes A. Tinnier » cessa en 1869 avant d’être reprise sans succès plus tard.


C’était un homme de caractère qui donna du fils à retordre au préfet du département. N’ayant pas admis les termes « cavaliers » d’une circulaire, il présenta sa démission en l’assortissant de commentaires significatifs : « quelque infime que soit, la position d’un maire de campagne aux yeux d’employés de la préfecture, elle ne nous défend pas de conserver notre dignité de magistrat comme de simple particulier. Tout petits que nous soyons, nous n’essayerons jamais de faire un piédestal de notre assurance ».


Malgré la teneur franche et directe de cette missive, sa démission ne fut pas acceptée cette fois là. Mais Aimé possède un gros handicap, il ne parle qu’imparfaitement la langue bretonne et a du mal à communiquer avec ses conseillers et ses administrés dont peu connaissent le français. Son initiative qui consistait à se faire assister dans les réunions du conseil municipal de son sécrétaire-interprète a contrarié certains membres, ce qui l’a amené à demander l’avis du préfet. Cette autorité fit preuve d’une grande prudence dans sa réponse : « cette introduction (de l’interprète dans le conseil) toujours tolérée, plus que permise, ne peut avoir lieu que de l’assentiment de l’assemblée elle- même. Si elle fait naître des plaintes, on doit y renoncer ».


4 – SON ACTION MUNICIPALE

Quels sont les grands traits de son mandat ?

Il pourvoit au fonctionnement de l’école primaire, insuffisante et insalubre. Il esquisse un projet de nouvel édifice. Il fixe le traitement de l’instituteur à 631 francs en 1872. En 1865, Monsieur Le Tanter est installé comme instituteur : il restera à Loctudy jusqu’en 1908, assumant également les fonctions de secrétaire de mairie et d’organiste de l’église. Arguant d’une insuffisance de ressources communales et de la présence d’une école de sœurs ouverte en 1869, le maire s’oppose avec son conseil à la création d’une école publique de filles ; (en Bretagne, comme ce fut le cas à Tréguennec, certaines écoles communales furent confiées à leur création à des religieuses enseignantes). Les autres arguments exposés pour justifier ce refus sont le fait « qu’il y a des écoles de filles dans les communes voisines et que la concurrence fera baisser les prix », (la gratuité scolaire ne sera instituée que plus tard, en 1876 sous Jules Ferry). Comment expliquer alors l’installation en 1874 de Mademoiselle Lezoc comme institutrice publique de 2 ème classe ?. Sans doute fut-elle, comme Jean-René Prigent, affectée à l’école de garçons du Bourg ?


L’entretien et le classement des chemins communaux constituent aussi un sujet de préoccupation, (27 kilomètres de route existent sur le territoire communal). Le conseil appuie en 1862 une proposition d’augmentation du salaire du préposé qui « ne sachant ni lire ni écrire ne peut juridiquement être promu cantonnier mobile ». Et pourtant il assume ses tâches avec une grande conscience professionnelle et rend compte chaque jour de son travail.


Les pavés de l’église sont renouvelés en 1865.


Le maire et son conseil rejettent des demandes de concession dans la Palud de Prat an Askel et lancent des poursuites contre des administrés ayant bâti des constructions illégales.


La circulation pose des problèmes pas franchement résolus. En 1864, la municipalité refuse à l’unanimité de prescrire, comme à Pont-l’Abbé, l’éclairage des charrettes circulant de nuit. Selon nos édiles, il n’y a pas de danger, sauf les jours de marché à Pont-l’Abbé et à Quimper !


Les affaires financières sont toujours l’objet d’attention. En 1863 le maire demande la création d’un octroi sur le port, pour financer la bonne viabilité des chemins communaux. D’une manière générale le budget stagne (4 863 francs en 1864, 4 771 francs en 1866). En 1865 une souscription est lancée pour venir en aide aux victimes du cyclone. En 1868 le legs d’Armand de Boisguéhenneuc en faveur des enfants pauvres de la commune est accepté par le conseil.


L’aménagement du port, en constante progression (2 885 202 kg de pommes de terre ont été expédiées en 1874), amène le conseil à demander en 1875 un nouvel allongement du quai de cinquante mètres. Et comme la route des ports bigoudens était déjà d’actualité à l’époque, nos élus demandent que la route Loctudy-Saint-Guénolé qui « connaît une circulation considérable », soit classées et aménagée. Si l’on se réfère aux comptes-rendus de la séance de sa seconde installation le 13 avril 1874, Aimé reçut de ses conseillers la même confiance qu’il avait obtenu lors de sa première administration. Ce n’était pas gagné d’avance car le compte-rendu comporte une mention insolite qui interpelle « la lecture de l’arrêté préfectoral le renommant maire n’a donné lieu à aucune manifestation hostile ». Miné par la maladie et par la détérioration de la santé de sa fille, il fréquente peu la mairie en 1875. La suppléance est assurée par Laurent Le Cleac’h, cultivateur à Villoury (fils et petit-fils des deux maires de 1823 à 1844), qui occupera le poste jusqu’en 1876, année de la nouvelle prise de fonction de Louis Toulemont.


SOURCES

- Archives de la famille de Laubrière, fournies gracieusement par Tanneguy et François.

- Documents remis par Serge Duigou, que nous remercions chaleureusement ainsi que les opuscules Loctudy, Loctudy à la Belle Époque qu’il a édités.

- Registre des délibérations des conseils municipaux de 1861 à 1875.

- Ouvrages historiques relatifs à l’histoire de France et à l’histoire de Bretagne.